Il s'agit d'un blog dont l'objectif principal sera de présenter mes occupations de loisir. Mon travail d'écriture, ma peinture, ainsi que ma passion pour le sport,dont je m'apprète à commenter certains souvenirs.
La fin du voyage.
Insolite fut la soirée passée à la Tavernetta de Paolo. Elle ne peut pas, selon une chronologie classique, s’inscrire dans un registre habituel tellement sa naissance reste surprenante.
Insolite, elle le fut par l’originalité de la rencontre et le comportement inattendu du personnage. Un homme qui spontanément propose à titre gracieux gîte et couvert à six personnes qu'il ne connaît pas n’est en effet pas chose ordinaire. C’est le moins que l’on puisse dire, d’autant que….
Paolo, non seulement a mis à notre disposition un lieu où camper, nous a invité à dîner mais en plus nous a offert le petit déjeuner de ce 25 juillet. Il a tenu également à nous accompagner un bout de chemin à vélo afin de nous conduire dans la bonne direction pour notre dernière étape. L’auberge étant à l’écart de notre carte de route, il craignait que nous perdions du temps à nous retrouver sur l’itinéraire conduisant à Trieste.
Le temps d’un dernier café pris dans l’un des établissements du village de Capri-di-Friuli fut mis à profit pour d’ultimes échanges. Un questionnement nous aurait peut être éclairé sur une telle attitude à notre égard. Aurait effacé en nous un sentiment proche de celui de l’interrogation. Aurait classé cette rencontre dont la naissance et le déroulement n’ont pas de cadre assez grand pour en définir les traits, en décrire les sentiments qu’elle évoque. Quel attribut, quelle marque pouvons nous donner à ce qui a priori n’a pas de raison d'être. Comment définir ce type d’altruisme qui amène un homme à être spontané dans un acte de générosité peu commun face à des inconnus ?
Après avoir levé à plusieurs reprises la main en signe d’adieu, Paolo Bastiani quitta notre chemin. Nous nous connaissions de la veille seulement et nous vivions des émotions semblables à celles rencontrées lors de la perte d’un ami.
Le début de l’étape fut animé par des échanges dont le sujet traitait de ce que nous venions de vivre. Chacun d’entre nous reprenait à tour de rôle des adjectifs, des expressions venant flatter l’attitude de Paolo. Vocable certes banal et incomplet pour donner un sens précis à une telle conduite. Termes utilisés par défaut, car l’invitation présentée fut tellement imprévisible qu’elle nous laisse encore aujourd’hui sans conclusion quant à une justification qui voudrait reposer sur une logique habituelle.
A présent devant nous s’étire un long et large ruban de goudron. La route, rectiligne sur des kilomètres traverse une campagne ne présentant aucun intérêt. Rangés en file indienne et quoique positionnés le plus à droite possible, nous ne sommes pas épargnés des bousculades provoquées par les camions roulant à vive allure sur une voie qui n’est en rien favorable aux cyclistes.
Les montagnes à présent nous tournent le dos comme pour nous punir de les avoir délaissées. Ce n’est plus la luminosité violente des neiges éternelles qui nous fait larmoyer, mais les gaz d’échappement d’une circulation infernale.
La route est monotone. Le silence est dans le rang. Il faut rester concentrés pour éviter de toucher le camarade qui nous précède. Le moindre écart risque de nous jeter sous les roues des bolides, qui malgré notre prudence, arrivent à nous frôler. Certains chauffeurs y ajoutent le tintamarre de leurs klaxons qui en plus d’être désagréables, nous surprennent et nous rendent nerveux.
Les odeurs acres des fumées d’usines viennent s’ajouter à la chaleur ambiante. Je roule sans plaisir. Bien qu’incontournable cette étape est de trop. Elle va faire tâche sur l’image géante que mes yeux ont capturés durant ces onze jours passés à côtoyer des sites de rêve.
Malgré l’inconfort de leur revêtement, j’en suis à regretter les chemins du Giau et plus récemment la route défoncée de La Selle Marcilie où pourtant je n’y étais pas à la fête. Plus une fleur sur le bord de le route, le soleil les a toutes grillées. Plus de cascade d’où s’échappaient les milliers de perles d’eau qui venaient rafraîchir mon visage au plus beau de l’effort. Plus rien de tout ce que j’aime sur cette nationale qui nous mène vers Trieste.
La Chaussée s’élève doucement, la carte nous indique la Sella di Amanio. Le sommet du col affiche sans complexe une altitude de 68 mètres. Ce sera le dernier col de notre périple.
Encore loin de Trieste, certains panneaux de signalisation commencent à afficher des noms comportant des lettres bizarres. Je suis tout étonné d’apprendre que nous longeons, à cet endroit, la frontière Yougoslave. Les maisons que nous apercevons à quelques centaines de mètres ne sont pas sur le territoire Italien, mais bien dans le pays que le Maréchal Tito a réunifié en 1963, mais qui depuis sa disparition en 1980, déjà, commençe à se déchirer.
Au loin, enfin la mer nous apparaît. L'adriatique, puis ce pays dont je situais mal les contours et dont je frôle ses lignes, génèrent en moi un sentiment de fierté. Des émotions diffusent m’envahissent soudain. Je ne sais pas de quoi je suis fier, mais je le suis.
Un long faux-plat descendant, entrecoupé de quelques bosses nous rapprochent définitivement de notre point de chute. Le fil, attache symbolique semblable à celui d’Ariane que nous avions fait mine d’accrocher aux abords de la gare de Thonon venait de se tendre. Perception de l’esprit qui marque la fin de notre histoire. Chacun en a senti à sa façon le signal. Chacun, cela se saisissait sur les figures, vivait à sa manière le bout de son voyage.
J’ai, de façon épidermique, cette capacité à me savoir heureux d’événements pouvant se situer hors contexte d’une situation et ne touchant forcément les personnes qui m’entourent. A cet instant précis je suis loin de mon périple, de mon Thonon-Trieste dont le rêve s’achève.
Certes, j’étais heureux d’en avoir fini, d’avoir été à la hauteur de mon engagement. Ma lucidité cernait bien les instants qui amènent à apprécier un projet conduit à son terme. Je vivais pleinement le bonheur de notre réussite. Celui d’avoir vécu collectivement jour après jour une superbe expérience sportive et humaine me comblait, mais au-delà de ces perceptions, il y avait autre chose qui me touchait. J’étais aux portes de l’un de ces pays dont les lectures de mon Père vantaient les mérites d’une vie égalitaire.
Sans doute, mais pour une raison toute personnelle, j’étais le seul du groupe sensible au regard que je portais en direction de ce monde nouveau. Un monde qui gardait à cette époque ses parts de mystère et dont j’étais curieux. Tout bêtement, tel un enfant que l’on mène voir quelque chaton ou des perruches batifolant dans une volière, moi, j’étais content de ma découverte.
Je réalisais de surcroît que grâce à ma randonneuse, je venais de traverser deux pays : la Suisse et l’Italie et que j’étais aux frontières d’un autre regard.
Le temps de quelques photos, celui d’une promenade sur les quais du port de Trieste à regarder la plage d’en face et en deviner les baigneurs de ce pays que l’on dit si différent du notre, le repli vers la gare ferroviaire venait de s’imposer à nous. Il fallait faire enregistrer nos vélos et acheter nos billets de transport pour le retour sur Avignon.
Sur l'un des quais deTrieste: Pierrot et à moi le bonnet..... blanc...
Il y eut peu de commentaires durant le voyage qui, par un autre itinéraire que celui emprunté à vélo, traversait l’Italie vers la France.
Pour ma part, mille choses se court-circuitaient dans ma tête. Le plaisir de l’œuvre accomplie alternait avec cette rupture d’une animation que nous avons entretenue et faite vivre entre nous. Rupture également avec le spectacle offert par une nature exceptionnelle rencontrée tout au long de nos étapes.
A propos de l’accueil qui à plusieurs reprises nous fut réservé, calé dans mon coin de banquette, les images défilent. Je revois les deux vieux de la maison du peuple près de Cavazzo s’avançaient vers notre table, une bouteille à la main en offrande aux petits Français que nous étions pour eux. Ils nous tenaient une conversation avec ce qui leur restait d’un vocabulaire appris chez nous alors qu’ils étaient maçons pour l’un et ouvrier agricole en Provence pour l’autre. Leurs souvenirs chargés de reconnaissance pour notre pays étaient flatteurs.
C’était hier. Paolo Bastiani et son auberge. Cette invitation incroyable. Ce matin de juillet est jour de fermeture de son établissement. Alors quoi de plus naturel pour lui que de nous inviter à prendre le petit déjeuner à la table familiale entourés de ses deux enfants et de son épouse. A parler de choses ordinaires comme si nous nous connaissions depuis toujours. Encore et toujours pour ce qui devait lui paraître normal, nous le vîmes prendre son vélo et faire un brin de route avec nous sur la route vers Trieste. Ultime élan de sympathie, ultime communion avec cette homme dont nous ne savions rien, à part l’essentiel.
Douze jours à se côtoyer, à se charrier, à s’épauler, à se provoquer me reviennent par le biais d’un diaporama qui défile devant mes yeux. Mes copains ronflent allégrement et moi je ne dors pas. Je refais le chemin. Ni mieux, ni moins bien car tel que j'ai accompli ce voyage, son souvenir me satisfait pleinement. Il est allé bien au-delà de mes prévisions et de mes espérances. Je le répète inlassablement pour le plaisir, pour que rien qui fut beau s’en échappe de ma mémoire. Je le refais de peur d’en oublier le récit que je veux en faire à mon Épouse et à mes Enfants dès rentré chez nous.
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EPILOGUE
Partis de Thonon les Bains le 13 juillet 1985, le contrat qui prévoyait douze jours de vélo pour traverser la Suisse puis remonter le territoire Italien jusqu’à Trieste fut honoré par les six participants, à la fois dans les temps et dans l’esprit. Mille deux cents kilomètres, 40 cols à franchir dont 16 à plus de deux mille mètres d’altitude étaient au menu de ce raid. Je me dois de repréciser l’une des particularités de notre entreprise. A savoir que nous avons fait le circuit en cyclo-camping avec des montures approchant les 30 kilos en moyenne pour chacune d’entre elle.
Tout au long du parcours le groupe resta fraternellement soudé. Chacun à sa manière et selon sa forme du jour a pu s’exprimer en montagne. Les consignes de sécurité ont été suivies à la lettre, celle donnée de s’attendre au sommet des cols fut toujours respectée. Avec un peu d'imagination, J'entends le son de la corne de brume que Bernard portait autour du cou et avec laquelle il nous annonçait fièrement le sommet du col qu'il venait de franchir après nous avoir largué. Au terme de rudes empoignades, c'est ainsi qu'il est devenu le maillot à pois de notre Thonon-Trieste.
Randonnée Alpine s’il en est, Thonon-Trieste offre une grande diversités d’attraits touristiques ( je mettrais toutefois un bémol sur la traversée de Udine et sur la dernière étape )
Le circuit établi par Georges Rossini comporte un florilège de cols parmi les plus prestigieux d’Europe. Le Simplon, Le Splugen, La Bernina, Le Selvio et ses 2757 mètres comptent parmi eux. Les Dolomites et ses montagnes dressées tels des géants immobiles resteront le souvenir suprême de mon Thonon-Trieste.
Si la randonnée est superbe, elle reste des plus exigeantes que je connaisse. Pour des cyclistes roulant en autonomie, même les douze jours octroyés pour en boucler le circuit ne sont pas un luxe de générosité. Un ou deux jours d’intempéries rencontrées en haute montagne ou une panne de jambes risquaient de nous mettre hors délai.
Le mot du concepteur du raid ''Thonon-Trieste'' cyclo.
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1986 . Comme nous l’avions envisagé au terme de notre huitième étape, Pierrot et moi avons refait, en famille, un Thonon-Trieste en camping car. Le séjour fut magnifique. Mon fils de 10 ans alors, accompagné de Pierrot, est monté au refuge Auronzo et aux tri cimes avec un V.T.T pendant que je guidais le reste de la troupe sur un sentier de randonnées pédestres.
Nous sommes allés rendre visite à Paolo Bastiani. Un carton de vin des côtes du Rhône et des tee-shirt décorés du blason du Palais des Papes d’Avignon pour les enfants se voulaient être une marque de reconnaissance adressée à cette personne d’exception.
Arrivés à Trieste, nous avons fait une large incursion sur le territoire de ce qui reste aujourd’hui l’ancienne Yougoslavie. L’accueil de la population y fut fort agréable, mais je découvrais un monde qui n’avait rien de nouveau. L’agriculture, riche et abondante que nous venions de quitter se trouvait être misérable coté étranger. Dans les campagnes, les maisons faisaient triste mine et les habitants étaient vêtus pauvrement. Je ne reconnaissais rien de ce qui était écrit sur les revues que lisait mon Père alors que j’étais adolescent. Il n’était, hélas plus parmi nous pour me questionner sur les images que je ramenais de mon voyage, mais si tel avait été le cas, j’aurais menti pour ne pas le décevoir, pour ne pas le priver de croire en son idéal.
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Le voyage est terminé. Il fut en tout point beau. L’écrire me l’a fait découvrir d’une façon différente qu’à vélo. Je me suis aidé de mes notes et de celles prises sur le carnet rouge d’Hubert. Ce voyage je l’ai également fait de mémoire et j’en ai retenu celle du cœur.
Ces quelques lignes, enfin, pour dire que si nous devions repartir aujourd’hui, deux d’entre nous manqueraient à l’appel. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas clore ce retour vers mes souvenirs, mes moments de bonheur, sans exprimer mes pensées affectueuses à l’adresse d’Anna, l’Epouse de Pierrot. Sans un salut à Georges qui, de camarade de rencontre qu'il fut au départ, était devenu un compagnon de route fort appréciable. Pour eux, vous l’aurez compris, le temps, depuis s’est arrêté.
Merci pour votre fidélité et pour vos commentaires portés sur ce récit. Il me reste à vous souhaiter de bonnes vacances. Amis (es) cyclos, à vous, de belles randonnées.
A bientôt pour d'autres....... souvenirs à vous faire partager.
Bien amicalement.
Marcel