Il s'agit d'un blog dont l'objectif principal sera de présenter mes occupations de loisir. Mon travail d'écriture, ma peinture, ainsi que ma passion pour le sport,dont je m'apprète à commenter certains souvenirs.
Quand le plaisir du jour fait suite à celui de la veille.
Hier, pour le plaisir des yeux, la journée a été de celles qui laissent de magnifiques souvenirs. Elle fut également très sportive. De nombreux cols ont jalonné le parcours, mettant parfois à rude épreuve les bonshommes et le matériel. Des paysages de cartes postales n’ont eu de cesse de défiler pour nous au fil des kilomètres, et comme dans la chèvre de monsieur Seguin, la nature des lieux semblait être là pour saluer notre passage
Le Giau ? Que vous dire de plus de ce que j’en ai écrit dans le récit marquant l’étape de la veille. Si ce n’est en rappeler son chemin pour la randonnée pédestre en guise de route afin d'en rendre encore plus méritante la marque d’en atteindre son sommet.
Le Passo Tri Crocci couronné de cette particularité qui est d’avoir, bâtie en haut de sa montagne, une chapelle surmontée de trois croix en référence à celles du Christ, de Dimas et de Gestas, les deux Larrons. Symbole qui se veut fort pour ramener, sans doute, les hommes à relativiser leur notion de souffrance et à les conduire à plus de modestie au regard de la cène du calvaire !!!!.
Les Tri Cimes où il fallu, alors que le campement pour la nuit se trouvait à Misurina, escalader sa pente au prix d’un effort mémorable pour se voir apposer un tampon sur notre carnet de route. Pas n’importe quel cachet tout de même, car il validait une étape à la dimension monumentale.
Misurina et son glacier. Lui, qui tel Narcisse, vient se mirer dans le lac dont l’eau teintée d’un vert émeraude en renvoi un sosie aux contours que l’onde fait trembloter, fut la surprise du soir. Ainsi se veut le résumé des faits notables qui sont venus clôturer une épopée, que j’ai pour ma part inscrite au registre d’une chronique d’exception.
A propos du lac, je ne peux pas résister d'en raconter succinctement ce qui en aurait fait son origine :
Il y a très longtemps, dans les Dolomites vivait le roi Sorapis. L’homme était un géant. Misurina sa fille était naine, disgracieuse et égoïste. Elle était, de surcroît, associable, envieuse et jalouse des femmes de son peuple au point que tout le monde cherchait à l’éviter. Un jour, elle appris l’existence d’un miroir magique qui avait la propriété de satisfaire les requêtes qui lui étaient adressées. Ayant établi la liste de ce qui allait faire d’elle l’autorité dont elle rêvait, elle ordonna à son père d’aller quérir l’objet. Le roi alla solliciter la fée Mont-Cristallo qui en était l’heureuse possédante. Elle le lui céda à la condition qu'il accepte de se faire encore plus grand, de se faire montagne afin de venir abriter du soleil les fleurs de son jardin. Le roi accepta. De retour dans son royaume, et selon le souhait de le Fée, encore plus géant qu’il n’était à son départ, il s'approcha de sa fille puis la souleva à la hauteur de son visage pour lui parler, la raisonner à propos de ses exigences au sujet du miroir. La hauteur inhabituelle à laquelle il l’a hissa lui donna un tel vertige qu'elle alla s'écraser aux pieds de son père. L'avidité avec laquelle elle voulu saisir le trophée lui faisant perdre toute notion de prudence.
La légende dit que le chagrin du roi fut si grand que ses larmes formèrent un lac. Quant au miroir, c’est lui, dit encore la légende, qui renvoit du fond de ses eaux l'image de cette montagne qui ne serait autre que celle de Soparis.
Moralité: L'ambition cultivée jusqu'à la démesure risque de faire choir de haut...qui s'y risque.
Le lac de Misurina
Après une douche prise dans l’une de ces minuscules cabines métalliques qui équipaient les campings italiens de l’époque, nous voila installés à la table d’une auberge commémorant les exploits des alpinistes s’étant, entre autres courses, illustrés dans les Dolomites. Parmi eux, figure une magnifique photo de Walter Bonatti autour de laquelle trône un piolet des années cinquante et une corde statique lovée selon la technique montagnarde. Une paire de raquettes, des bâtons sensés lui avoir appartenus terminent l’espace décoratif qui lui a été octroyé sur un pan de mur blanchi à la chaux.
Imaginer comment ces hommes ont approché la montagne me fascine et m’interpelle à la fois. A cette époque, mais encore aujourd’hui, combien de ces pionniers sont morts ou meurent pour cette confrontation entre ses éminences hostiles et l’ambition de l’homme à vouloir dominer ses sommets. L’histoire comptent à leurs sujets nombre drames ayant coûté l’existence à certains d’entre eux.
Pour être le premier à planter un drapeau, pour fouler de leurs pas un espace jusqu’alors resté vierge, des comportements pour le moins surprenants ont entachés des réputations, qui par ailleurs et dans d’autres temps furent acquises au terme de véritables exploits. La lutte entre la haute, voire la très haute montagne et l’homme reste un combat impitoyable. Des enjeux aux caractères divers ont parfois eu raison sur la raison de ces conquérants, au point d’en perdre tout discernement. Si la vue de ces pièces de collections me rappellent leurs prouesses et leurs performances, je ne peux cependant les dissocier de faits divers, de rumeurs qui me font froid dans le dos.
Mais à ce qui fut obscur, je ne veux retenir au sujet de leur histoire que celles qui les a mis à l’honneur pour des sauvetages effectués au péril de leur vie.
Le restaurant est animé par des clients du terroir. Leurs conversations sont dignes d’un répertoire théâtral. Ils en jouent, cela ne fait aucun doute. Des gestes démonstratifs viennent jusqu’à nous souligner certains de leurs propos. Le ton de leur voix se gradue en fonction de leurs commentaires. Loin d’en comprendre toutes les nuances et la précision d’un vocabulaire sans doute local, le rire communicatif qu'ils génèrent nous permet, d’un regard amusé, de prendre part à leurs joutes oratoires. L’ambiance bon enfant, la cuisine italienne et le vin qui nous est servi sans modération par de généreux habitués des lieux, effacent comme par miracle les traces de notre dure journée.
Durant notre parcours, mais plus particulièrement en région de montagne, les Italiens nous ont toujours très bien accueilli. Savoir d’où nous venions et par le tracé des routes empruntées, suscitaient chez ces hommes des élans d’une fraternité attachante. Nos vélos chargés ras les sacoches les faisaient nous regarder d’un œil compatissant. Pour se convaincre du poids que nous trimbalions, certains n’hésitaient pas à les soulever, ce qui nous valait des qualificatifs plutôt flatteurs et dont les termes n’avaient plus rien à voir avec la bicyclette !!!.
23 Juillet 1985. Le soleil se lève sur le lac de Misurina, avec, toujours, étendue sur son eau, l’image géante du glacier qui le surplombe.
Le début de la nuit fut perturbée par des noctambules qui avaient eu sans doute de bonnes raisons d’arroser un anniversaire ou le plaisir de fêter quelques retrouvailles. Les Italiens sont en vacances alors quoi de plus normal que d’en célébrer le temps !!!!
Rapidement, le froid vint ajouter à mon insomnie un désagrément supplémentaire à ma quête de sommeil. Rien d’étonnant, l’altitude accuse ici 1754 mètres et la neige encercle le panorama sur presque 360 degrés.
En quittant Misurina, nous croisons à nouveau, mais pour la dernière fois, le cyclo-clodo, ainsi baptisé par Hubert. Sans jamais l’avoir rencontré sur notre itinéraire, bizarrement nous nous retrouvons à nouveau au moment de notre départ. A deux reprises déjà la situation s’est produite lors d’étapes précédentes. Ce matin, il sortait d’un bois dans lequel il nous dit avoir dormi en expliquant qu’il refusait de payer un emplacement de camping !!!
L’homme, la quarantaine est grand. A regarder son vélo et son équipement en braquets, il doit être bougrement costaud. En effet, sa bicyclette n’a que deux plateaux à l’avant et ses pignons arrières ne doivent pas aller au-delà de 25 dents. Peu bavard, il s’exprime dans un bon français. Nous en déduisons qu’il est des nôtres mais sans aller jusqu’à lui poser la question. C’est, probablement, un coté rebelle ou marginal qui le pousse à faire son Thonon-Trieste en dehors des conventions ordinaires. A moins que ce ne soit par nécessité, mais dans ce cas, sa tenue vestimentaire le trahit, car elle est de bon goût et d’un certain luxe.
Il est, comme celle là, des rencontres fugitives qui interrogent. Qui sans être lisses, mettent dans l’embarras son interlocuteur. Rien chez la personne n’exprimant un quelconque souhait de nature à pouvoir lui donner une suite.
La journée s’annonce belle. Une fine couronne de nuages blancs entoure les Tri cimes. Au sujet de ces gigantesques aiguilles, en fait, deux seulement sont visibles d’où que l’on se trouve. L’exception nous a t’on dit, est de monter jusqu’à la chapelle se situant au dessus du refuge Arronzo où de là, parait il, la troisième apparaît, mais pour nous il est trop tard pour aller vérifier !!!!. Nous y étions tout près hier soir, mais ignorant du fait, nous n’avons pas cru bon d’aller nous échiner au milieu des pèlerins endimanchés. Ceci dit, nous croyons sur parole notre informateur, d’autant que les cartes postales en témoignent.
Les Tri Cimes.
Aujourd’hui, une portion du circuit va consister à contourner la chaîne montagneuse des Tri cimes. Au loin, l’on aperçoit Auronzo di Cadore. La route descend en pente douce vers une vallée qui s’élargie ainsi que la voie de circulation sur laquelle nous rencontrons beaucoup de véhicules.
Padola. Dans cet région, l'Italie touche l’Autriche. De splendides chalets aux façades décorées de cènes paysannes ou religieuses de style tyrolien fleurissent sur les hauteurs du coté droit de la chaussée. Ils rappellent qu’une redistribution des frontières suite au dernier conflit mondial les a rendus italiens. Implantés au milieu d’alpages verdoyants distingués de milliers de fleurs fourragères, ils exposent avec fierté cet art pictural que nous avons également rencontré au cours de notre passage en Suisse.
Roue dans roue, nous avançons à une allure raisonnable. C’est l’attitude la plus économique en énergie pour se protéger des courants thermiques que l’on a de face dans les vallées l’après midi. Ces courants sont générés par l’air se réchauffant à basse altitude et qui, allégé, remonte vers les sommets. Le passage à l’avant se fait à tour de rôle. Je dois reconnaître que sur ce type de terrain il m’est difficile d’honorer pleinement mon contrat. Mes cinquante neuf kilos de départ et sans doute deux de moins à ce jour, ne me permettent pas de tirer du braquet. Généreusement, Bernard, Hubert, Pierrot et Gérard bouchent les trous que je laisse en sautant mes relais. J’ai remarqué que Georges, également, se faisait volontairement oublier en queue de file !!!. Personnellement, je n’ai jamais eu d’aptitude pour ce genre d’exercice, alors, comme disent les pros, je reste dans les roulettes. C’est à dire à l’abri, collé à la roue libre de celui qui me précéde!
Paysage suréaliste: Les Dolomites
Nous avons toujours à vue d’œil les grandes montagnes sur lesquelles, hier, nous avons crapahuté une partie de la journée. Un changement de direction, une route plus étroite nous font amorcer l’ascension d’un col non répertorié sur notre bock, qui cependant est bien dans la direction de Saint Stéphano di Cadore, ville par laquelle nous devons passer. Rien de bien méchant, mais il faut remettre en route la moulinette, les muscles n’ont pas éliminé toutes les traces des efforts de la veille. Nous savons d’autre part qu’en fin de journée nous attend le Ciampigotto. Celui là est bien noté sur nos tablettes et son profil repéré sur la carte routière mentionne les chevrons de la colère, de ceux qui nous prédisent des sueurs à venir. Alors vous comprendrez que pour cette mise en bouche la prudence fut de mise et qu’aucune attaque ne fusa !!!!
Au carrefour des Tri-Ponti, l’achevoir, l’ultime grand col de Thonon-Trieste nous est annoncé d’une façon qui tapa dans l’œil de Pierrot, dont la langue italienne n’a pas de secret. Une inscription particulière et de nature à éveiller l’attention des plus septiques s'affiche sur un coin de mur au regard des passants. L’annonce est claire, une prophétie nous est promise si nous parvenons à venir à bout de la difficulté de ce passage, qui, de réputation locale se veut très difficilement franchissable à vélo!
La surprise d'une telle révélation valait bien un moment de pause, qui par ailleurs fut mise à profit pour des commentaires les plus divers sur le sujet. Nos discussions bruyamment animées par le contenu d’un tel message avaient attiré l’attention de quelques jeunes personnes promenant dans le coin. Il s’en suivi des échanges de courtoisie. A la question posée par je ne sais plus qui du groupe sur la difficulté du col et nos possibilités à pouvoir le gravir sans encombre, la réponse fut ..... pour vous ....oui,.... mais !!!.
C’est la que je vis, habillée d’un rire moqueur, l’une des jeunes filles lever sans discrétion le doigt et le pointer dans ma direction, puis vers celle de Pierrot et répondre, les lèvres pincées :
-Vous, les plus jeunes,..... vous pouvez y arriver,..... mais pas les deux vieux !!!!!
Sans avoir eu besoin de la traduction, je pris la mesure de l’affront. Restant muet par politesse mais surtout par crainte d’être impertinent, c’est l’allure fière et la tête haute que je pris mon vélo pour l’enfourcher avec l’assurance de savoir pouvoir faire mentir la belle effrontée !!!!!
Le peu de route que l’on aperçoit dès l’amorce du col laisse augurer de notre peine à venir. Le revêtement est de mauvaise qualité. La pente doit tourner aux alentours des dix pour cent, c’est vous dire combien il faut appuyer, esquicher sur les pédales pour seulement arriver à avancer à pas d’homme.
Quelques kilomètres de parcourus et une surprise nous rattrape au détour d’un virage, ….à moins qu’il s’agisse d’une épreuve commanditée par quelque lutin!!!.Il n’y a pratiquement plus de route devant nous, un chemin caillouteux la remplace. A en juger par la fraîcheur des dégâts, un gigantesque éboulement est passé par là depuis peu. Il a emporté avec lui des milliers de mètres cubes de terre et de rochers, obstruant de ses masses le lit du torrent qui coule au fond de la vallée. Depuis l’ascension du Giau nous sommes rompus à ce type d’exercice, à rouler entre trous et bosses, mais là ça commence à bien faire!
Mieux vaut rouler sur la gauche, le côté droit présente des risques....
Sur la pancarte, il était bien question de Madone et Gésu, de « riccordé » que mon italien approximatif m’a fait confondre avec rencontre au lieu de rappelle, mais là, le moment présent n’est pas à l’espoir de s’entendre encourager par des Divinités célestes. Il fallait, et selon l’adage -Aide toi le ciel t’aidera-, démontrer, en toute humilité pour ne froisser personne, que nous devions nous en sortir par nous même. La chose fut faite en puisant au fond de ce qui nous restait de réserve, mais sans avoir eu à aller au-delà du possible. Par pudeur, la plus grande discrétion régna quant à savoir si l’un d’entre nous s’était senti, dans les moments de doute, gratifié de poussettes émanant d’attentions particulières.
Je vous le disais, Hubert prend des photos en roulant.
Au bas du col, une « strada bianca », une route stabilisée avec ce qui ressemble à de la ‘’clapicette’, reliée plus loin à une chaussée conforme à une voie de circulation dite normale nous amènent à Prato-Carnico, le terme de notre étape.
Un très grand bâtiment, construit au milieu de rien, au fronton décoré d’une immense fresque représentant une faucille et un marteau attire notre attention. Il sera, et peut être le fut il par défaut, notre restaurant pour le soir. Une salle immense comprenant un nombre impressionnant de tables font offices de salle à manger. Nous entrons là dans un lieu singulier et où l’ambiance y est étrange. Des dizaines de regards, qui au demeurant se veulent discrets et sympathiques, nous suivent jusqu’à la table qui nous est attribuée par une corpulente serveuse.
Subitement un doute s’installe au sein du groupe. Et si nous nous étions égarés en investissant un lieu seulement réservé aux adhérents liés à l’insigne incrustée dans la façade ? En fait nous ne le saurons jamais, n’ayant pas posé la question et aucune remarque ne nous ayant été faite à ce sujet.
Il s’agissait en fait d’une Maison du Peuple comme il s’en trouve encore dans certaines régions pauvres d'Italie. Ces établissements sont mis à la disposition des travailleurs ou des retraités aux revenus bas qui ont là le gîte et le couvert selon certaines modalités
Si lors de notre entrée, les décibels émanant des conversations avaient sensiblement baissés de leur intensité, à présent un flux sonore remplit à nouveau la salle. Aucune carte de menus nous est proposée, en revanche des plats de pâtes, de légumes nous sont servis par la Mama qui fut notre hôtesse d’accueil.
Étrange sensation que celle de ne plus, de ne pas savoir si nous ne sommes pas en situation d’abus au détriment de ces hommes, âgés pour la plupart. Je précise hommes, car à part certains membres du personnel, je ne me souviens pas d’avoir croisé un regard de femme.
Surprenant également de se voir amener une bouteille cachetée par deux hommes âgés alors que nous n’avions commandé qu’une carafe de vin ordinaire.
Émouvant que de voir s’approcher en direction de notre table deux êtres fragiles. Puis s’arrêtant à une distance respectueuse pour ne pas être vécus pour des personnes agressives ou dérangeantes, venir nous parler de leur passé dans l’hexagone. Ils avaient été maçons, puis avaient travaillé dans des vignobles, puis étaient revenus au pays au milieu des leurs. Ils se rassemblent régulièrement sous le toit protecteur de cette maison. Elle leur assure ce qui leur reste d’avenir dans la croyance d’une fraternité qui se percevait au delà des conventions.
Ce fut une journée, une soirée exceptionnelle. Une de plus sur ce Thonon-Trieste. Cependant je retiens de celle là l’expression de ces visages restés heureux. De ces personnes dont sans doute nous avons, par méprise, peut être, investi leur espace et qui nous ont reçu comme des invités. Je retiens le plaisir qu’ils ont eu à nous parler de chez nous, de la France dans un discours de reconnaissance.
Je retiens de cette soirée le bonheur qu'il m’a été donné de vivre auprès de ces gens de rencontre. Le bonheur d'une histoire, de souvenirs offerts par le cœur de ces hommes. Souvenirs dont je me fais le devoir de vous en faire partager l'écho.