Vers la Croix d’Aussois
La Croix d’Aussois, puis la pointe de l’Observatoire qui vous élèvera à 3017 mètres sur ma carte, altitude notée à 3015 mètres par ailleurs, va être la troisième randonnée que je vous propose de découvrir.
Je vous passe la préparation du sac à dos de Rémi devenu depuis quelques jours un petit montagnard averti et qui, à chaque sortie, n’arrête pas de rajouter vêtements et nourriture comme si nous partions pour une expédition à durée indéterminée.
Le départ effectif de la randonnée se fait à partir du pied du barrage de Plan d’Amont situé au dessus du village d’Aussois. Deux retenues se succèdent formant deux lacs dont le plus haut se déverse dans le second. L'ensemble compose une réserve d’eau importante contribuant à alimenter la centrale hydraulique de Modane.
Pour démarrer, une piste borde sur son flanc gauche la berge du bassin supérieur.
Tout au long de ce début de parcours, de petites cascades traversent le chemin pour venir se jeter dans ses immenses réservoirs.
Les Rhododendrons, les violettes, les primevères et nombre de fleurs que je ne connais pas ornent les abords de ce début d’itinéraire. Une demi-heure de marche nous conduit à la croisée du sentier qui, sur notre gauche, monte au col de la Masse. Nous quittons là ce qui était un chemin carrossable pour prendre le pont de bois de la Sétéria au bout duquel un panneau indique à la fois : refuge de la Dent Parrachée et celui du Fond d’Aussois.
Ce changement de direction nous ouvre au sentiment d’être au coeur du sujet pour lequel nous marchons. Celui où l’ambiance est celle des grands espaces, celle du monde minéral que j’affectionne particulièrement. Le franchissement d’une première moraine nous fait déboucher sur une tourbière, plaine humide qui fut autrefois sans doute le lit d’un lac. L’emplacement d’un abri pour les premiers conquérants des cimes environnantes a laissé, à proximité du chemin, les traces encore visibles de l’endroit où il fut aménagé. Une chapelle se trouve également au milieu de ce monde, dont on peut imaginer l’existence humaine qui peut être en occupait les lieux une partie de l’année, à défaut d’y avoir été sédentarisée.
L'emplacement de ce qui fut sans doute un premier abri.....
Caché par une haute végétation herbeuse, le refuge du Fond d’Aussois, discret, ne se dévoile qu'au dernier moment. Une statue en bois de mélèze inspirée du Mannequin-Pisse abreuve une marre dans laquelle vivent des truites et des ombles des fontaines. L’eau qui descend du torrent actionne une roue à aubes produisant l’électricité destinée à la charge des batteries qui offrent l’éclairage de la salle à manger ainsi que celle du dortoir de l'édifice, dont l'existence remonte à des lustres.
J’évoque là l’ancien chalet aujourd’hui promis en musée. Quant au nouveau, il se présente comme un abcès au milieu d’un environnement que mon esprit chagrin refuse à mes yeux. Pour ce cas de figure au moins et ne voulant pas généraliser sur le sujet, les nouvelles normes auxquelles a été soumis ce nouveau bâtiment ne paraissent pas avoir été pensées par des modèles de l’esthétisme local. D’autre part, élevées côte à côte, les deux constructions se trouvent confrontées malgré elles à une cruelle dualité conduisant au rejet de l’une des deux. Pour ma part, vous l’aurez compris, celle de mon cœur reste l’ancienne batisse.
L’ascension vers La Croix démarre dès sorti des vestiges du bon refuge d’antan sacrifié à l’autel d’une modernité inconvenante au sein d’un cadre qui se veut authentique. Je veux garder l’image et le souvenir de celui qui accueillait dans la simplicité les personnes de passage pour un moment de repos. Halte d’une heure ou plus, jusqu’au lever du jour, le temps de permettre aux randonneurs de récupérer des efforts de la veille et pouvoir continuer leur progression vers les sommets ou les glaciers qui restent l’objectif du monticole.
Le nouveau et l'ancien chalet.
Je regrette, vous l’aurez compris, ces asiles comme j’en ai connu dans le Mercantour, les pyrénéens ou en Vanoise dans les années 70 ou, sans luxe, avec l’accent local, la gardienne ou le gardien vous régalait d’une soupe d’orties et d’un ragoût de mouton. Le dortoir auquel l’on accédait par une échelle en bois, à défaut d’être confortable, regroupait des personnes habitées par un même état d’esprit.
Pour clore sur le sujet et à la manière d’un coup de gueule, je regrette enfin que l’on appelle refuge de haute montagne de véritables hôtels étoilés flanqués au bout d’une piste que l’on a bitumée pour la cause. Je précise, et malgré le jugement que je lui porte, que ce n’est pas le cas du nouveau refuge du fond d’Aussois où pour y accéder il faut tout de même consentir une bonne heure de marche.
Je vise là ceux dont l’accès permet d’y voir arriver dans leur 4x4, endimanchés comme pour la parade, des touristes en chaussures de ville voulant se convaincre, pour être montés à 2000 ou 2500 mètres d’altitude, qu'ils en sont pour autant devenus des montagnards. Je n’ai pas aimé, pour l’une de ces rencontres, leurs attentions compatissantes et leur regard apitoyé comme si nous étions des indigents alors que c’était leurs accoutrements, leurs attitudes et leurs comportements qui faisaient d’eux les décalés de la situation.
Il me plaît à sourire à l’idée d’imaginer leur tête si nous nous pointions en tenue de randonneur avec nos brodequins crottés à l’un de leur cocktail. Nous y serions ridicules comme ils le sont dans ce monde qu'ils appréhendent sans respect pour se vouloir dégagés de toute convention.
Je reprends avec vous la randonnée en direction de notre objectif en remontant encore pour quelque temps cette zone humide où tout un réseau de petits rus vient alimenter en eau un matelas végétal. Sur ce type de sol à la portée instable, il faut y savoir choisir le bon chemin au risque de s’y tremper les pieds. Une passerelle que les responsables du parc doivent réaménager en début de saison à cause des intempéries hivernales, nous permet de traverser une rivière que la fonte des neige abreuve abondamment. Le sentier prend rapidement de la hauteur pour escalader l’un des verrous qui attestent d’un passé où les glaciers descendaient à des altitudes bien plus basses que celles où ils s’accrochent aujourd’hui. La puissance et la poussée de l’érosion ont dispersé dans la montagne des champs de rochers de toutes les grosseurs. Il s’agit là d’un milieu particulier, un monde où le silence n’est interrompu que par le cri des choucas.
Sans être une véritablement surprise, François notre guide l’ayant laissé entendre, un groupe de bouquetins mâles se prélassent au soleil. Pour la plupart couchés, ils sont là en nombre à quelques dizaines de mètres du sentier pour leur sieste quotidienne. Rémi, intrépide et curieux comme à son habitude manifeste spontanément le souhait de vouloir s’avancer de l’un des spécimens positionnés sur un gros bloc. Conseillé par François qui connaît bien la nature de ces animaux, confiant, il s’approche à pas de Sioux de cette bête dont la réputation de pacifique ne s’est pas fort heureusement ce jour là démentie.
Un travail d'approche à pas de Sioux....
Je le suivais de près à la fois par précaution et pour la photo souvenir. J’ai vu l’animal regarder mon fils, puis, sans doute pour lui manifester son agacement, il s’est mis à produire par ses naseaux des sons se voulant menaçants. Il me reste en mémoire la vision surréaliste du regard de ces deux êtres qui se découvraient l’un à l’autre dans une méfiance retenue, chacun dans la maîtrise intuitive de ce qu'il pouvait consentir comme marge de sécurité.
Expérience unique que j’ai pu immortaliser grâce un modeste appareil photo, sans zoom je le précise.
Pour pouvoir ainsi les approcher d’aussi près, c’est dire combien les bouquetins restent vulnérables face aux braconniers
Nous progressons dans un monde minéral, chaotique comme je les aime. L’ambiance qui y règne décuple en moi une foule de sentiments et d’émotions dont les raisons m’échappent. Contrairement à d’autres qui s’y sentent oppressés, je suis à l’aise dans ce type de milieu. Il me rappelle au souvenir de Christian, celui qui pour moi et pour le temps auquel je fais référence, était une personne âgée dont le dynamisme m’impressionnait. Il ne tarissait pas d’éloges les bienfaits que lui apportaient des terrains tels que ceux là. Il me parlait des générosités bioénergétiques qui sont stockées, emmagasinées dans ces masses minérales et dont, selon lui, il était possible d’en récupérer les vertus au contact de certains blocs granitiques en particulier. J’ai pu l’observer dans ses quêtes alors que nous nous étions laissés distancer du groupe par besoin de nous retrouver ensemble et pour celui de m’expliquer l’approche de sa philosophie.
Christian, L'homme qui communiait avec les rochers.
C’était au petit matin alors que nous rentrions sur Lanslebourg par la pointe de Lanséria et après une nuitée passée en groupe au refuge de Plume-Fine qu'il me dévoila son adhésion à cette pratique à laquelle il accordait de vrais pouvoir.
Le refuge de Plume-Fine en 1986. Un refuge comme je les aime.
Je l’ai vu s’approcher d’un rocher qu'il avait choisi parmi une multitude d’autres qui s’entre-chevauchaient, et coller son corps, bras écartés contre la paroi de l’immense caillou en vue d’en présenter le maximum de surface au contact de la matière rocheuse.
-Depuis des millénaires, me disait-il, ces rochers sont là à recevoir les lumières et les influences du soleil. Ils sont des batteries qui rayonnent de vitalité pour qui sait en capter les substances nourricières dont ils sont habités.
Christian était adepte d’une raison dont le concept me dépassait. Si je n’ai pas encore à ce jour trouvé de raison objective à l’explication du bien être que j’éprouve dans un désert de pierres, cette ignorance a le mérite de me rappeler à la mémoire de cet homme avec lequel j’ai partagé, le temps de quelques randonnées, un parcours initiatique peu commun. Ce passé me ramène à des moments d’échange, de découverte qui ont excité ma curiosité.
Si je n'ai pas encore trouvé de raison objective.....
Une conséquente épaisseur de neige couvrant l’itinéraire classique fait à présent barrage à notre progression. La solution apparaît alors comme une évidence. Nous devrons contourner la difficulté par la crête que les vents ont balayé de tout obstacle. Cependant, et malgré notre subterfuge, une combe abritée des turbulences nous obligera à marcher dans de la neige molle jusqu’au promontoire sur lequel est plantée la Croix de bois marquant le premier sommet
Ce passage signera également le point culminant de la randonnée pour une partie du groupe qui, pour diverses raisons, décide de ne pas monter à la Pointe de l'Observatoire.
Elle se dessine au bout de la moraine qui prend naissance dans le nid d’un petit vallon. Si pour en débuter l’ascension la voie est large, rapidement le sentier disparaît sous le manteau d’un gigantesque éboulis. Chacun doit de faufiler entre un enchevêtrement de gros blocs aux arêtes saillantes qui rendent la progression difficile. La neige qui arrive à la hauteur des rochers ne laisse que peu de place à l’espace où poser les pieds. D’autant que sur la droite une falaise abrupte au vide impressionnant n’engage pas à la côtoyer de trop près. Les bâtons de marche deviennent gênants au point de devoir les ranger dans les sacs à dos, les mains devenant indispensables sur un terrain proche de celui de l’escalade.
À la cîme de l'observatoire 3015 mètres
Une dernière rampe nous hisse enfin à une altitude, qui pour la majorité des membres du groupe marque leur premier 3000.
Une prudente descente nous ramène auprès des collègues qui ont eu l’élégance de nous attendre pour le pique-nique. Les nouveaux promus au rang de baroudeurs ont bien fait les choses, l’entrée du repas est honoré du champagne monté a dos d’homme pour la circonstance.
Le guide, les vieux, les anciens, les habitués de la chose auront sans doute pour conclure une réserve de génépi pour saluer à leur manière l’intronisation des mordus de l’altimètre. Après une dernière gargoulette de leur nectar, ils sonneront le temps de rejoindre le parking de Plan d’Amont pour un retour que chacun, tout au long du parcours, va commenter à sa manière.
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