Quand les choses sérieuses.........
L’étape d’hier a marqué le début de notre amicale confrontation avec Bernard. Pour ce qui me concerne, le Dieu de la montagne en accord avec ‘’Simplon’’ m’ont gratifié de l’un de mes souhaits qui était de porter le maillot à pois au moins un jour. Et ce soir, même s’il est fictif et provisoire, il est symboliquement sur mon dos. Des cols, il en reste encore un paquet et j’espère bien avoir l’occasion d’aller titiller les uns et les autres pour le fun, pour ce plaisir que les non-pratiquants ont du mal à pouvoir comprendre. Pour cela, il me faudra avoir les jambes et n’avoir que Bernard à contrôler.
Je sais, pour l’avoir entendu, que chacun de mes compagnons de route voudrons faire leur baroud d’honneur. Mais où s’arrêtera leurs ambitions ? Cela demeure une inconnue. Quant à moi, et sans véritable surprise pour mes camarades, c’est dit : j’ambitionne le rôle du challenger...et qui sait..... peut être plus !!!!.
Cela ne se veut en rien dévalorisant à son égard, mais nous avions tous les moyens de rivaliser avec Bernard. Bien que Georges et Gérard paraissent ne pas vouloir prendre part à notre ''guéguérre", il reste Pierrot et Hubert dont les intentions restent à décoder.
Si vous avez lu mon article intitulé ‘’Du cyclisme au cyclotourisme’’ vous l’aurez compris, je l’évoque succinctement, la montagne était, en ces temps là, un domaine sur lequel je me sentais à l’aise. Sans pouvoir en donner d’explication rationnelle si ce n’est celle d’une morphotype sans doute adapté, l'effort particulier a fournir dans ce milieu me convenait.
Les raisons, en dehors de celle évoquée sont à trouver dans les tiroirs de la personnalité du grimpeur. Dans la valeur subjective qu’il place entre la relation qu’il instaure avec les éléments et ce qu’il cherche à trouver comme satisfactions personnelles.
Vous pensez peut être solennel le fait que je dise me sentir en communion, en échange avec cette nature que je perçois comme étant particulière. Oui, en sa compagnie je vis différemment qu’ailleurs. Je suis dans un monde qui me convient. J’éprouve l’agréable sentiment d’être un invité à qui l’on permet un moment d’évasion, de liberté, de balade à la fois pour l’esprit et pour la chair qui exulte dans l’effort.
Je connais le niveau d’exigence de la montagne. J’ai appris à son contact à reconnaître et à gérer les moindres signaux d’alerte invitant à lever le pied en cas de sur-régime. Une lien impalpable mais néanmoins réel s’instaure alors entre la dépense à consentir et sa propre réserve d’énergie pour mener l’objectif visé à son terme. Le propos peut paraître délirant mais je vivais les choses ainsi. La montagne me transcendait à la limite d’une approche mystique. Elle m’amenait dans le plaisir de cette souffrance positive que seuls les sportifs peuvent comprendre. J’étais, le temps de mon engagement avec elle, une personne différente de celle voyant défiler sous les roues de son vélo l’interminable ruban d’une route plate. La montagne offre à son hôte de passage un environnement qui le dynamise.
Lors de notre périple et tout au long des cols, des champs de rhododendrons nous accompagnaient. A notre passage devant les cascades, de l’eau en fines gouttelettes formant des voiles comparables à de la soie nous entouraient, nous effleuraient de leurs caresses humides. La montagne, vous l’aurez compris je l’aime et elle me l’a bien rendu. Elle m’a permis d’inscrire au rang de mes souvenirs, certains de ses cols parmi les plus beaux d’Europe.
La journée ‘’galère’’
16 Juillet. Le départ de Zernasco est pris sous un tapis de nuages menaçants. Aujourd’hui encore, mais nous le savons et ce jusqu’à Udines au moins, la route va monter pour redescendre et nous diriger vers de nouvelles ascension.
Nous abordons Le Piano di Sale sous un déluge d’eau et de feu. Le ciel nous tombe sur la tête. Pas facile de pédaler sous un poncho ou l’air n’y circulant pas, nos vêtements à défaut d’être trempés par la pluie le sont par une transpiration fort désagréable. Un vent violent de face vient encore augmenter la difficulté. Heureusement que nous avons été prévoyants sur notre équipement en braquets, car dans ces conditions, du statut de cyclos nous serions passés à celui de randonneurs pédestres avec en prime un vélo à pousser !
Je pense à cet instant aux propos tenus par un camarade, également cycliste, et qui ayant vu mon vélo monté avec à l’arrière une couronne grande comme un cul d’assiette, m’avait demandé ironiquement si sur le parcours que nous allions emprunter il y avait des arbres à grimper ! Il se demandait à quoi pouvait servir ces pignons à grandes dentures. Ils aident effectivement à pouvoir affronter l’impondérable et le cumul des difficultés. La pente, le poids des bagages, la répétition journalière de l’effort et des conditions climatiques telles que celles rencontrées ce jour là, justifient largement ce qui peut laisser croire à une débauche de précautions pour le non initié à ce type de raid.
A présent un brouillard dense vient aggraver la situation. La visibilité est à moins de 10 mètres, la descente du Piano di Sale devient dangereuse. Merci encore à ma randonneuse 650 pour sa fiabilité et son freinage à la fois souple et efficace. Merci au concepteur de mes porte-sacoches avant et arrière qui répartissent parfaitement la charge, condition indispensable afin de pouvoir négocier correctement les virages tout en gardant une bonne vitesse.
Avant d’arriver à Ponté, un éboulement obstrue la chaussée. Nous devons prendre les vélos en poids, de la terre gorgée d’eau s’accumule entre les garde-boue et la jante ce qui bloque les roues. ‘’Journée galère’’ porte bien son qualificatif.
Le vélo de Gérard.
Enfin des maisons, un café-restaurant-épicerie et des personnes pour nous héberger, nous permettre de nous réchauffer un peu.
Il pleut de plus belle et le temps de repos convenu de s’octroyer est terminé. Dur de sortir de cette chaude ambiance que nous ont aménagé les clients du lieu, des ouvriers d’un chantier voisin sans doute. Mais notre point de chute est prévu plus loin. Nous devons nous faire violence pour reprendre la route afin de rester dans les prévisions de notre avancée vers Trieste.
Un, deux kilomètres dans un rythme de ‘’moulinette’’, de pédalées rapides pour celles et ceux qui découvrent ce terme, et c’est reparti. Il pleut encore et le bruit du tonnerre résonne de façon infernale dans cette vallée étroite qui nous conduit vers le Lac Majeur.
L’environnement devient luxueux. De magnifiques villas se devinent dans les parcs qui longent l’avenue. Les véhicules utilitaires des paysans, des Vespas à trois roues rencontrés dans les montagnes des alentours font place aux limousines. Quel contraste !
Sans doute absorbés par les mauvaises conditions que nous fait subir l’orage, la lecture d’un panneau routier nous échappe et nous voila sur une chaussée interdite aux cyclistes. Les gens qui circulent dans leurs belles autos nous dévisagent comme si nous étions des extra-terrestres. En fait nous sommes à Ascone, mais........perdus.
Ascône, ville implantée sur les rives du Lac Majeur ouvre le lot des petits incidents qui vont émailler le parcours. Pierrot lève le bras comme un professionnel pour signaler une crevaison, sauf que nous n’avons pas de dépanneur à notre service. Il est en effet temps de vous dire que nous faisons notre Thonon-Trieste sans aucune assistance, c’est à dire sans voiture suiveuse, sans téléphone portable....et pour cause.
Les arcades d’une grande bijouterie nous servent d’abri pour le remplacement de la chambre à air percée. L’opération est exécutée sans souci alors que des regards curieux nous sont jetés par des passants étonnés de voir des bougres de notre espèce dans leur espace mondain.
Il est midi. En temps normal il serait l’heure de manger. Mais la pluie ayant cessée de tomber nous en profitons pour rouler jusqu’à Bellizona où nous savons y trouver un restaurant. A journée exceptionnelle, une entorse peut être faite. Manger sur l'herbe ne serait pas raisonnable d’autant plus qu’il recommence à pleuvoir. Bien installés, nous apprenons qu’Hinault, malgré quelques blessures sur chute est toujours maillot jaune et que Vichot vient de gagner l’étape. Les Italiens nous ont repérés. Ils nous adressent des sourires flatteurs.
Encore une trentaine de kilomètres pour boucler une distance équivalente aux valeurs prévues de faire quotidiennement, mais pour cela, le Saint Bernardino est à franchir.
Le San Bernardino.
Bis, tri répétita, à nouveau un déluge s’abat sur nous et cette fois de gros grêlons sont mélangés à une eau glacée. Pour mémoire, nous sommes au mois de Juillet, mais en haute montagne la canicule peut alterner avec des températures hivernales en quelques minutes. Le ciel nous le rappelle.
Le terme de l’étape n’est toujours pas fixé. Par sécurité et à cause du mauvais temps Hubert s’improvisant capitaine de route nous demande de rester ‘’groupir’’.
En cours d’ascension, à la vue d’un coin de ciel bleu, Bernard que le froid excite se met à accélérer alors que la pente devient sévère. Petit à petit un écart se creuse mais nous le gardons à vue. Etrange sensation, je sens les pois de mon maillot de grimpeur se détacher les uns après les autres pour sauter, tels des puces sur celui du fugitif. Plus fort que le respect sensé devoir à mon capitaine, l’acte de désobéissance m’entraine alors à vouloir rattraper le coquin. Tout en écrivant, je pense à la chanson de Piaf ‘’ Encore un jour, laissez le moi encore un jour. Ma quête n’était pas la sienne. La mienne se limitait à mon maillot seulement !!
Mézolo met un terme à cette journée de galère. La fin d’étape est animée par Gérard et Georges qui arrivent les premiers et trouvent un hôtel. Ce soir pas de camping, nous avons du linge à faire sécher et besoin d’un vrai lit.
La journée rendue difficile à cause de cette série d’orages servit de tests quant à notre état de forme et celui du choix de notre équipement individuel. Il fut probant sur l’ensemble des éléments à l’exception toutefois de nos appareils photos que nous aurions dû choisir...... étanches ! Ceci explique la pauvreté des images illustrant le récit de ce troisième épisode de notre Thonon-Trieste. Cependant, les caprices du temps n’ont en rien entamé notre détermination à vouloir repartir demain......qui sera un autre jour à vous raconter..........