Le Ventoux raquettes aux pieds
Prétexte à un peu d'histoire
Le Mont-Ventoux.
Au-delà de ce qu’il véhicule comme légendes dans le domaine du cyclisme, du sport en général et de quelques exploits hors du commun, il est également connu pour avoir peuplé des siècles durant l’imaginaire des habitants des villages voisins, celui des écrivains de romans, alors que d’autres en retracent le récit de leur première ascension.
Le Mont-Ventoux devient à la portée de la connaissance des hommes sachant lire….le latin… grâce à Pétrarque, qui le 26 avril 1336 en fait une première escalade décrite dans un courrier adressé au moine Augustin François Denis, de Carpentras.
Si son ascension n’est pas mise en doute, la date parait trop avancée pour avoir pu en atteindre l’objectif final. Il est en effet probable que pour cette époque, sa cime était encore trop fortement enneigée.
Une confusion dans la correspondance des dates en serait l’explication. Sous Pétrarque, il s’agissait du calendrier Julien alors que le traducteur, quelques siècles plus tard, s’est servi de l’almanach Grégorien !
De même que la première trace écrite de l’ascension ne signifie en rien qu’elle fut la première commise par l’homme. En effet, son sommet révélera plus tard de la présence humaine bien avant cette date de 1336.
Dans sa lettre au moine, Pétrarque parle notamment d’un berger qu’il rencontra au milieu de la montagne et qui lui dit avoir été interrogé quelques saisons d’été auparavant par un homme cherchant un chemin qui le conduirait au sommet. Il s’agirait peut être du philosophe français Jean Buridan.
Le même berger atteste à Pétrarque avoir entendu, dans le cadre de la transmission orale, que ses aïeux, déjà, parlaient de rencontres avec des étrangers.
_ Munis de grands bâtons, sans chien ni bétail, semblant venir de nulle part, tous portaient des vêtements étranges. Ils en cherchaient le sommet dont les anciens disent que personne ne peut en revenir !
Fin du XIX siècle: Terrasse de l'ancien observatoire en hiver.
Bien plus étonnant encore. En 1882, des travaux destinés à l’aménagement de la première plate forme devant recevoir en son sommet le premier observatoire, ont permis de mettre au jour des poteries remontant….. à l‘antiquité. Une reconstitution réalisée à partir des fragments, a légitimé l’identification de trompettes faites avec de l’argile. Munies de deux anses, elles pouvaient se porter en bandoulière grâce à des lanières de cuir. Il s’agirait d’objets fabriqués par une civilisation pastorale. Ces objets attesteraient de la trace d’une occupation humaine temporaire du sommet du Mont-Ventoux…. déjà au tout début de notre ère.
Ce matériel pouvant émettre des sons très aigus, aurait eu pour vocation de vouloir dualiser avec les sifflements du Maître des vents qui balayait violemment le pays une grande partie de l’année. Rites exorcistes sans doute. Où manifestations bruyantes voulant couvrir le bruit inquiétant d’un souffle mystérieux, dont les hommes pensaient qu’il sortait des cavernes et qu’il était porteur de sortilèges.
Il faudra attendre 1518, soit près de trois siècles après celle du célèbre poète italie, pour que de nouvelles traces consignées apportent la preuve d’une ‘’ élévation ‘’ totale du géant de Provence par Joachim de Saze.
L’histoire raconte que la peste sévissant dans la région. Il fut alors demandé à cet homme, accompagné de Baudichon Falcon, courrier de la ville, d’aller brûler un cierge dans le cœur de la chapelle sommitale de la Sainte Croix.
C’est par hasard, qu’en 1936 fut retrouvée par le docteur Pansier, une lettre dans laquelle sont mentionnés en détail les achats opérés pour cette expédition. Cette lettre figure aujourd’hui dans les archives de la ville d’Avignon.
A partir du XV siècle, les écrits relatant des recherches et démarches en tout genre ayant pour champ d’investigation le Ventoux, se font plus courants et plus précis. Nicolas Fabri de Peiresc en 1632, passionné d’archéologie et de géologie, accompagné du R.P Athanase Kircher, polygraphe, astronome, inventeur de la lanterne magique ,en feront une ascension.... pour la science.
Plus tard, en 1778, le docteur Darluc entreprit d’y faire des études géographiques et botaniques. Dés lors, la réputation de la vaste biodiversité du Mont-Ventoux va attirer beaucoup de chercheurs et de savants venus de toute l’Europe.
Jean-Henri Fabre: 1829-1915, homme de science, naturaliste, entomologiste, vivant au lieu-dit l’Armas sur la commune de Sérignan du Comtat, ne cessera à partir des années 1850, d’en fouiller ses pentes à la recherche de sa population d’insectes, d’oiseaux et de vouloir en répertorier ses nombreuses plantes. Certaines s’avèreront être identiques à des espèces rencontrées sur le rivage du Spitzberg, comme le saxifrage à feuilles opposées.
Le Saxifrage à feuilles opposées.
Pour ne parler que des espèces les plus surprenantes, il y rencontrera au cours de ses soixante ascensions dénombrées, le petit pavot velu à corolle jaune que l’on trouve exposé coté nord à l’approche de son sommet, et dont l’identique s’aperçoit dans les solitudes glacées du Groenland et du Cap Nord.
Pavot velu à corolle jaune.
En 1996, sur le versant nord, aux alentours de Brantes, des ossements d’ours bruns de type caucasien y sont découverts dans une grotte. Ces squelettes remontent à l’époque de Neandertal. Suite à d’autres recherches, d’autres ossements mis au jour ont permis de recenser plus de cinq cents individus, ce qui en fait l’un des gisements les plus importants d’Europe. L’ours brun, dont l’habitat de situait sur le flanc nord du Mont-Ventoux n’a disparu des lieux qu’au tout début du XX siècle.
Mille plantes, dont quatre cents genres floristiques et plus de cent oiseaux différents, figurent sur le répertoire des observateurs et scientifiques spécialistes du Mont-Ventoux.
Aphyllantes de Montpellier.
De nos jours, le Mont-Ventoux héberge des espèces giboyeuses du front alpin, et d’autres appartenant à l’espace méditerranéen. Lièvres, perdrix rouges, chamois, biches, cerfs, chevreuils, sangliers y sont débusqués selon des règles et des critères réajustés à chaque saison de chasse.
Le mouflon, le blaireau, la fouine, le renard sont également présents. Une multitude de rapaces dont le Circaéte Jean-le-Blanc ont réintégré le massif boisé. Le loup y a sans doute retrouvé refuge. Un sujet formellement identifié a été abattu accidentellement sur la commune de Bedoin en 2012 !
Le Circaéte Jean-le-Blanc.
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Le Mont-Ventoux et quelques uns des ses caractères :
L’observatoire météo :
Un première construction remonte à 1882. Le bâtiment actuel a été édifié en 1966. La hauteur de sa tour est de 42 mètres, laquelle est surmontée d’une flèche de 20 mètres. Ses installations sont affectées à la base militaire de Orange-Caritat.
Le Radôme :
Grosse boule de béton implantée en 1995 sur son arête occidentale. Le Radôme est sous la responsabilité de la direction générale de l’aviation civile. Il protège un radar, lequel assure avec une vingtaine d’autres stations décimées sur le territoire français, la sécurité de notre espace aérien.
La chapelle Ste Croix.
Sa première construction date du XV siècle sur décision de l’Evêque de Carpentras et neveu du Pape Sixte IV. Détruite pendant les guerres de religion, elle sera reconstruite en 1701 sur ordre de César de Vervins, prêtre Avignonnais.
Le Mont-Ventoux et ses exploits sportifs hors du commun :
* Un premier marathon est organisé pas l’union sportive de Carpentras en 1908.
Les premières courses d'engins à moteur.
* Le 7 août 1921, à l’occasion d’une course automobile, Gustave Daladier pose un petit avion sur un plateau sommairement aménagé au col des Tempêtes.
* 1962 : Jean Bouteille, 70 ans, professeur à la retraite, fait l’ascension du Ventoux par Malaucène sur un vélo….dépourvu de selle en 1 h et 54 minutes. Les spécialistes apprécieront l’exploit qui réside à tout faire ''en danseuse'' !. Dans la foulée, il le redescendra à pied en 1 h et 19 minutes.
* Pour faire dans l’originalité, en 1983, André Derve de Valréas le grimpera avec son triporteur pesant….52 kilogrammes !
Le Ventoux se monte également à rollers, à skis à roulettes, en courant en marche arrière et peut être bientôt sur….les mains…
* Ne nombreux records de son ascension à vélo sont inscrits dans les registres officiels :
* Michel Robert, ancien coureur de catégorie Elite, aujourd’hui marchand de cycles à Avignon, le grimpera 9 fois en 22 h par son versant sud, entre le 31 juillet et le 1er aout 2005.
* 2006 : Pascal Roux et Stéphane Rubio, avec 11 ascensions détiennent aujourd'hui encore le plus grand nombre de grimpées en 24 h.
* 2009 : Isabelle Esclangon reste titulaire du record féminin avec 8 ascensions successives par Bedoin.
* Le Mont-Ventoux détient un record de la vitesse du vent : 320 K.H par vent du sud et 313 K.H par temps de mistral. Relevés datant de 1967.
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La partie raquettes.
**** Pour ce qui me concerne et bien qu’ayant gravi le Mont-Ventoux plus de cent fois à vélo, l’ayant pratiqué en randonnées sac au dos et chaussures de marche ou encore équipé de raquettes ou de skis, je n’y ai pas d’autre quête que celle du plaisir d’en refaire ses chemins, d’en remonter ses combes et, à l’occasion, d’en photographier certaines de ses particularités.
Je laisse donc le soin aux chercheurs de chercher et aux écrivains de trouver des sujets les amenant à lui découvrir des histoires singulières.
Cette années 2014, courant janvier et février, de nombreuses chûtes de neige ont permis d’en recouvrir ses pentes bien en dessous du Mont-Serein pour sa face nord et quelques centaines de mètres en aval du Chalet Reynard, pour le coté sud.
Accompagné de Bernard et de Hubert, également compagnons de route pour ce qui est du vélo, ma première randonnée de la saison s’est faite par le sud.
Le froid piquait au vif mais le temps était au beau. Le soleil donnait une brillance particulière aux cristaux de neige gelée. Le Mont Pelé, ainsi désigné pour ce qui est de sa calotte sommitale, se présente à nous telle une carte postale, une invitation au partage et à la découverte. Le vent, qui plus de deux cents jours par an en balaie brutalement sa crête, ce jour là s’était fait clément pour nous. Il ne soufflait pas, mais les traces de son passage en avait statufié les arbustes et les poteaux de signalisation.
Vue de l'ancienne station météo et de la chapelle Ste Croix.
La façade des bâtiments du sommet, exposée au nord, était incrustée d’une telle quantité de paillettes givrées, qu’elles en cachaient le revêtement d’origine. Le spectacle est surréaliste au point de ressembler au travail de Christo.
Le départ se fait du chalet Reynard. Nous empruntons sur quelques centaines de mètres le tracé du téléski. Ensuite, Bernard nous entraine côté droit pour arpenter des terrains sans trace, en vue de nous faire découvrir le Ventoux dans ce qu’il a de plus sauvage. Celui que les milliers de cyclistes qui viennent y faire leurs armes de grimpeurs, ne verront jamais.
Dans cette ambiance d’aventurier, chaussé de mes raquettes, je suis ramené un instant aux lectures de mon adolescence. À cette époque, où privé de tout loisir faisant appel à un déplacement ou à un caractère onéreux, je partais à la conquête du grand nord grâce à Jack London et à Olivier Curwood. Miracle du virtuel, mes chevauchées étaient sans limite et contrairement à aujourd’hui, le souffle ne me manquait pas.
Au moindre dévers, raquettes aux pieds, la marche devient difficile et douloureuse pour les chevilles. Il faut, à chacun de ses pas, soulever haut la jambe afin de se dégager de la trace parfois profonde dans laquelle régulièrement l’on s’enfonce. Cependant, malgré ces difficultés, le bonheur est au présent. Où chacun des points d'observation rencontrés sur le chemin, nous transportent tantôt sur le Vercors ou sur les Alpes qui nous paraissent pouvoir être touchés du doigt. Par temps clair, l’on peut même y apercevoir le sommet du col de Meyrand, au pied duquel s’abrite Loubaresse, le village où est né mon Père.
Je suis là dans un voyage permanent. La nature et le calme réveillent en moi tout un monde qui se révéle à nouveau en moi. Une émotion, une image, remettent en route le fil d’une histoire, ou m’apportent les éléments pour celles que j’écrirai plus tard.
Hubert voudrait bien pouvoir couper court, mais !
Si pour atteindre son sommet à vélo l’effort reste constant, raquettes aux pieds il n’en est pas moins difficile. Ce premier jour, la dénivelée positive devait approcher les cinq cents mètres, ce qui suffit largement à me mettre en sueur.
La station du Mont-Serein.
Pour nos deux sorties suivantes, Bernard nous a guidé sur la pente nord. Dure journée que celle où la chausse de nos prothèses ‘’piètales’ ’se fit au départ du sentier conduisant au col du Comte, en dessous du niveau du Mont-Serein. Près de 800 mètres de montée en positif me firent prendre conscience de l’état de ces parties du corps qui se résument en articulations et en muscles.
Vint ensuite la rando’ au départ de l’un des parkings de la station. Cette dernière fut écourtée dans sa phase finale. La semelle de l’une des chaussures à Hubert s’étant subitement mise en ….éventail !.
Un grand merci à Bernard, dont je viens d'apprendre ses origines briançonnaises. Région que personellement je découvrais en 1958, en qualité d'infirmier militaire dans l'hôpital qui se situait en bas de la Grande gargouille, aujourd'hui mairie de la ville haute.
Quant à Hubert où sur le vélo, il me grille sans forcer, je l’ai vu, tout comme moi, tirer la langue pour tenter de suivre notre guide montagnard.
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Pour les photos : Hubert, Bernard et….ma pomme. Certaines d’entre elles, proviennent de fichiers internet.
Bibliographie : Le Mont-Ventoux de Georges Brun, aux éditions le nombre d’or : Carpentras 1977.
Complément d'informations pris sur la toile.
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