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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 22:04

                           Récit tiré d'un chapitre de : "Lettre à Jules"    

 

                Lettre à Jules

 

                                                              Préambule,

 

Je ne sais pas ce qui m'habite à vouloir sans cesse revisiter le temps. A vouloir poser mon regard sur mes chemins d'autrefois. Un besoin irrépressible m'entraîne en direction des lieux et des événement où se niche mon enfance. La nostalgie de ce passé n'est pas le moteur de mon projet, bien qu'à certains égards j'en ai gardé de bons souvenirs. Quelle curiosité, quelle raison me conduisent donc à vouloir repenser ce que fut ma jeunesse.

Aujourd'hui je le sais et j'en connais la nature. J'éprouve comme un devoir, l'envie de te raconter des histoires, de celles qui, pour les développer, demande un peu plus de temps que ne dure un feu de cheminée........//

.....// Depuis trois ans déjà, je ne participais plus à la fête de mon école. Je rendais en toute discrétion mes livres fin Juin au Maître, avant de partir pour trois mois au fin fond de l’Ardèche, loué par mon Père à une famille paysanne comme vacher.

Jules, je ne peux pas te faire traverser mon histoire sans revenir sur l’un de mes séjours en montagne où durant tout l’été, je devenais le gardien d’un petit troupeau comme en possédaient les fermiers du haut Vivarais. Il me tient à cœur de flâner à nouveau sur les pourtours du lac d’Issarles pour te parler d’Etienne. Rencontre hors du commun par sa dimension, par ses appels, par tout ce qu’elle a alimenté durant cette estive. C’est reparti pour l’un de ces voyages qui nourrissent de leur substance ce qui empêche l’oubli.

Les travaux des foins mobilisaient les paysans dès les premiers beaux jours. Des garçons montaient alors de la plaine pour remplacer les hommes et les femmes qui habituellement gardaient leur bétail. Les enfants des familles pauvres, ceux de l’assistance publique ainsi placés, bénéficiaient d’une nourriture de qualité qui, à la sortie de la guerre, faisait encore défaut dans bien des maisons et dont la notre ne faisait pas exception. Le changement d’air dont les vertus m’étaient largement commentées, m’amenait à obéir à une forme de dévouement. A la fois pour le service rendu auprès de la famille qui me recevait, également pour mes parents qui n’avaient pas à me nourrir durant cette période !

--C’est pour ton bien, me disait mon Père !--

Le recrutement se faisait par relation et en toute confiance, c'est-à-dire sans recherche particulière quant aux personnes à qui nous étions confiés. Je note cela pour l’information, rien pour ma part ne viendra mettre en doute l’intégrité de mes familles d’accueil, mais il est vrai que ces arrangements se faisaient sans formalité ! Il s’agissait d’un contrat passé à l’amiable. Les adultes s’entendaient sur la durée de la prestation et les conditions de dédommagement pour l’activité fournie. Ainsi libérés des contraintes de garde en juillet, août et septembre, les seuls trois mois estivaux dont bénéficient généralement ces plateaux ardéchois, les fermiers pouvaient se consacrer librement au stockage de nourriture pour le bétail, aux moissons et autres travaux des champs et de jardinage. 

 

                                         RENCONTRE INSOLITE

 

1951, je me revois sur le sentier du Caîre, maigre, l’allure chétive, usant de mon bâton pour dompter quelques chèvres récalcitrantes qui refusaient de rejoindre leur enclos. L’empressement m’anime, j’éprouve le fort besoin de rejoindre au plus tôt Etienne mon ami, mon grand frère avec qui je partage une amitié d’enfant, de garçon. Une amitié singulière.

Je vais sur mes treize ans. Je souffre de me voir marqué des séquelles d’une guerre qui m’a affamée, me faisant grandir trop vite et brûlant sur son passage les étapes d’une jeunesse tronquée. L’idée de partir pour respirer l’air pur et boire sans restriction un lait riche de toutes ses matières grasses n’arrivait pas, tout au moins pour un temps à me consoler de la séparation. Depuis des années, je monte en estive, je suis un vétéran de ce type d’expédition au pays des Pagels et malgré une certaine expérience, j’appréhende ce nouveau départ.

J’ai déjà fait plusieurs séjours dans la vallée du Lignon et, aujourd’hui, sans qu'il me fut me donné d’explication, je suis changé de famille d’accueil, je suis envoyé chez les Bastides au pied du barrage de La Palisse.

Chez les Chambon, ceux d’avant j’avais mes marques, mes habitudes. Je faisais partie de la maison. Cette décision de me placer ailleurs va m’obliger à tout recommencer. Je vais devoir me familiariser à ces nouvelles gens et à un environnement qui m’est étranger.

Ce qui ne changera pas, c’est le voyage. Depuis le temps, je le connais, le car des Ginhoux qui monte à Aubenas, j’en ai essuyé tous les sièges. Après ce sera différent, il va falloir s’enfoncer plus loin dans la montagne par un changement de cap en direction du lac d’Issarlès via Saint-Cirgues-en-Montagne. Comme à chacun de mes départs mon Père m’accompagne.

Le Fernand Bastides nous attend dans le bistrot près de l’ouvrage en construction qui, accessoirement, fait office de relais pour les voyageurs allant plus loin. Il est attablé devant un verre vidé sans doute depuis longtemps, vu l’impatience qu’il manifeste sans discrétion. Une poignée de mains échangée avec mon Père, un regard à peine appuyé en ma direction, sont les premiers souvenirs que je retiens de mon arrivée.

Le sentier, tout en descente dans sa première partie, se faufile entre un bosquet de jeunes fayards et les berges de la Loire. Nous passons sur un joli pont de pierres après lequel, un raidillon, nous amène à la ferme des Renards. Juchée sur un promontoire surplombant le fleuve naissant, elle apparaît massive derrière sa façade  à la couleur grisâtre. D’immenses frênes font office de rempart à la Burle réputée violente et froide durant la période hivernale. Victoria, la maîtresse des lieux nous est présentée sans beaucoup d’élégance d’un signe de la main par notre accompagnateur. L’accueil s’est limité à quelques formalités d’usage. 

  Ardèche à vélo. La Loire naissante.

                                                  La Loire naissante

 

Pas de temps perdu en discours de convenance, les gens de la montagne ne sont pas causants. Il faut dire que des gamins comme moi, ils en ont déjà reçu une bonne dizaine depuis le début de la guerre. La question ne semble pas se poser quant à savoir s’ils savent s’y prendre avec les petits. Alors par vocation, par charité chrétienne, mais peut-être aussi pour tromper leur solitude, ils offrent l’hospitalité à ceux qui, comme moi, ont du mal à se relever des restrictions alimentaires tristement communes à la population de cette époque.

Après que me fut proposée une boisson sucrée et dont le goût m’est resté inconnu, je suis invité à suivre la Victoria en vue de mon installation. L’accès se fait par l’extérieur. D’un pas que j’ai du mal à tenir, elle me guide en direction d’une grande porte comme il s’en voit encore à l’entrée des granges du pays d’en haut. A l’intérieur de ce qui est le fenil, une pièce construite en planches, coincée entre les murs d’angle et la solide charpente du toit, va être ma chambre. Contrairement au reste de l’habitation, sa réalisation est récente. Le bois est encore brut de scierie.

Du fourrage entreposé à même les cloisons exterieures, distille des senteurs estivales. Deux lits sont disposés côte à côte. Une table chargée de cahiers et de livres scolaires signale la présence d’un autre enfant dans les lieux. Des images pieuses tapissent une bonne surface des murs. Un Jésus en cire emprisonné sous une cloche en verre trône sur une étagère. Il sourit. Un autre crucifié sur un bois doré suspendu à mi-hauteur est disposé entre les deux couchages. Il parachève une décoration que je trouve curieuse. 

C’est une surprise de ne pas me savoir seul à la ferme. Rapidement mille idées me traversent l’esprit. Je suis heureux sans raison précise à part celle de savoir qu’un autre enfant, probablement de mon âge, se trouve ici avec moi. Je pense en particulier aux soirées que je n’aurai pas à passer en tête à tête avec le Fernand et la Victoria. Je sais par expérience avoir à répondre à des questions, en particulier les premiers jours. Ils ne savent rien ou pas grand-chose sur moi et sur ma famille. Il y a assurément chez les Bastides de la curiosité à satisfaire. C’était comme cela ailleurs, rien de méchant mais un besoin de savoir. Parler était également une façon de se montrer sociable. Ils le savent, les débuts sont souvent difficiles alors il faut remplir le temps pour apaiser les inquiétudes du nouveau venu.

Ce devrait être différent avec mon voisin de lit. Echanger, bavarder avec lui ne devraient pas me poser de problème. Quel bonheur à l’idée d’avoir un compagnon. Je veille à ne pas le montrer mais je suis impatient de le voir. La Victoria ne me dit rien de lui et moi je n’ose pas poser de question à propos du lit vide.

Mon esprit s’emballe au point d’en oublier que je suis là pour tout autre chose que pour m’amuser. Les années précédentes chez les Chambon et ailleurs, je n’avais personne avec qui jouer, alors, je m’employais à accomplir toutes sortes de besognes pour tromper mes tristesses. Ici, je veux espérer autre chose, cette présence change tout..

Sans même avoir rencontré ce voisin de lit, car dans mon esprit il ne pouvait s’agir que d’un garçon, j’imaginais déjà des plans pour nous sortir du quotidien, pour fuir ce qui avait été ma solitude des estives précédentes. Pourquoi ne pas envisager d’être ensemble pour garder le troupeau, pour travailler le jardin ou faner ? Après tout pourquoi les Bastides auraient-ils accueilli deux enfants pour la saison, avec la volonté de vouloir les séparer ?

Un garçon s’avance vers moi avec lenteur. Il paraît sortir de nulle part. Son allure est étrange, sa démarche hésitante. Il me dévisage avec une curiosité troublante allant jusqu’à m’obliger à baisser les yeux. J’éprouve un sentiment de gêne comme si j’étais soumis à une évaluation de ma personne pour je ne sais quelle sélection. Je reste hébété, non par le fait de la  rencontre, d’ailleurs elle était prévisible et personnellement vivement souhaitée. C’est la façon dont elle a été préparée qui est surprenante. Un cérémonial surréaliste a entouré cette présentation dont la mise en scène n’a pu se réaliser qu’avec la complicité du Fernand. Le prétexte annoncé de vouloir me montrer l’enclos réservé aux agnelles était un scénario monté de toute pièce.

La sente pierreuse qui conduit à la bergerie est tapissée de pettes de brebis. Au fond du chemin se dresse un hangar recouvert de tôles rouillées duquel s’échappent des bêlements continus. Quelle malice a pu habiter ce garçon et cet homme pour choisir un décor pareil ? J’avoue ne pas comprendre.

Plus tard, seule la personnalité fantasque d’Etienne donnera un sens à un choix qu’il a voulu m’imposer.

Etienne n’est pas habillé comme un garçon de la campagne. Avec son costume d’un blanc immaculé et ses mocassins vernis noir ébène, il se singularise dans le décor de bouseux qui l’entoure. Un léger sourire marque une intention d’accueil poli. Contrairement à ce que je dois lui renvoyer en terme d’image, mon regard ne se voulant plus généreux, il ne paraît pas étonné de me savoir en ces lieux. Assurément, il connaît l’endroit. Il montre des signes qui ne trompent pas. Sa familiarité avec le Fernand ne fait pas de doute, l’aisance, la complicité qu’ils affichent dans leurs comportements les trahissent.

Sans que j’en comprenne la raison, il manifeste de la difficulté à pouvoir continuer. Il s’arrête vacillant. Essayant d’être le plus naturel possible, je m’avance vers lui. Je me trouve désarmé devant ce garçon au visage étrangement pâle. Il n’est pas tout à fait un adulte mais déjà plus un enfant. Il tend une main décharnée devant laquelle je ne peux contrôler un moment d’hésitation avant de pouvoir, à mon tour, avancer la mienne qu’il me serre avec autorité. Un visage aux traits surprenants entourent des yeux sombres. A présent, un regard curieux semble faire un inventaire de ce qu’il découvre, de ce qui semble lui être offert, de ce que je suis.

Rencontre dont je n’avais pas prévu le côté insolite, pas plus que je n’aurais pu imaginer l’ambiance théâtrale dans laquelle elle s’est déroulée. Quelle idée ridicule que ce spectacle préparé à mon insu où je subis le rôle d’un comédien désarmé de ses répliques. Je ne sais plus dans quel ordre replacer les sentiments que je ressentis au terme de cette mascarade. Même si ces mots ne faisaient pas encore partie de mon vocabulaire, vexé et humilié, sont sans doute ceux qui s’appliquaient le mieux à la situation. J’étais déstabilisé devant ce garçon pour le moins étrange et dont rien ne m’avait laissé jusqu’alors imaginer qu’il pouvait être le camarade espéré. J’avais déjà croisé dans ces montagnes perdues des garçons de ferme aux comportements bizarres, généralement des simplets. Mais la surprise était toute autre, cela était évident, il ne pouvait être là comme berger. L’invalidité qu’il présentait le rendait inopérant, incapable d’assumer les tâches pour lesquelles, habituellement, les fermiers accueillaient des enfants. Oui, j’en avais vu des drôles durant mes séjours précédents, mais jamais comme Etienne et je n’étais qu’au début de mes surprises le concernant.

L’étonnement passé,(je parle du mien), un enchaînement de propos et de gestes rassurants générèrent un climat qui apaisa mes émotions. Nous étions côte à côte à nous regarder de bas en haut, moi avec timidité et lui sans aucun embarras. Je restais muet alors qu’il me noyait de ses paroles. J’entendais qu’il était content que je sois là, que je sois venu.

A présent, je le regardais sans baisser les yeux, curieux de ce qu’il était mais aussi pour lui offrir un regard que je voulais chaleureux. La scène était drôle et touchante. Comment expliquer ce qui m’a traversé l’esprit à cet instant où, sans recul aucun, je sus être là pour lui ?

Les circonstances de ma venue, la naissance de ce qui sera notre relation, seront d’autant plus attachantes que les événements qui viennent de se dérouler ne sont pas dûs au hasard.

Etienne est un adolescent de seize ans. Malade depuis des années, il vient régulièrement chez les Bastides faire une cure de repos et d’oxygénation loin des quartiers de Marseille. Il ne supportait plus de se trouver seul face, durant des semaines, au Fernand et à la Victoria dans une relation qui lui était devenue ennuyeuse. A l’écoute de leur fils et concevant la demande, sa famille se mit en quête de lui trouver un camarade. L’un de ses oncles habitant notre quartier du chemin d’Arles obtint de mon Père de me changer de famille afin de satisfaire sa demande. C’est ainsi que je fus désigné à mon insu et dans une totale ignorance de ce qui m’attendait, candidat comme second des Bastides et garde-malade auprès d’un garçon en désespérance.

Il n’est plus comme les autres. Depuis quatre ans, il lutte contre une tuberculose osseuse qui le tient alité des mois durant. Une déformation de son squelette le fait légèrement boiter. Malgré ses efforts pour se tenir droit et paraître valide, je me suis rapidement rendu compte de son handicap. Mes espoirs de partager avec lui des obligations de travail et les jeux pour lesquels nous aurions pu être partenaires se perdent subitement dans un flot de regrets. Les stigmates de ses souffrances se lisent sur son visage. Il n’est pas celui que j’espérais à la découverte de ce lit vide. Je suis partagé entre la déception d’être privé de sa complicité pour partir à l’assaut des soldats de paille que représentent les gerbiers après la moisson et un sentiment de tristesse que m’inspire sa silhouette fragile et instable.

Je sens Etienne impatient. Il me manifeste des attentions, me gratifie de tapes amicales comme si nous venions de nous retrouver après une séparation que des circonstances nous auraient imposée. Il se positionne en grand frère sans domination abusive, mais je sens son autorité. Il émane de lui et de sa façon d’être, une assurance décalée du reste de sa personne qui le rend mystérieux.

Quelque chose me séduit, me fascine dans sa présentation. Il joue d’une forme de séduction faite de charme et de quête de sympathie. Ses propos dits d’un ton familier sont de nature à m’aider, à me remettre de ma surprise. Il exprime une gentillesse dont la forme ne m’est pas familière. Je suis à son écoute, captivé par un vocabulaire riche des mots que son accent du sud fait sonner d’une chaude musique.

A présent, à demi-mot la chose a pu être dite. Je viens de comprendre la raison pour laquelle je suis ici. Sans qu’il ait eu l’occasion de me choisir pour copain, je sais être là suite à sa demande formulée comme la condition à son retour chez les Bastides.

 

       Prochainement :  "Au fil des jours"  apportera une suite à notre histoire

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commentaires

T
Jackie,<br /> J'ai pensé que cette histoire intéresserait les personnes qui ne m'ont pas lu et je m'aperçois qu'elle peut être revisitée avec plaisir, votre témoignage me le confirme.<br /> Je n'exagère en rien l'expression de mes sentiments dans les descriptions que je donne de cette aventure, je m'y retrouve pratiquement dans le même état d'esprit en l'a réécrivant. C'est, pour moi,<br /> à la fois drôle et émouvant. Je vous embrasse et à bientôt pour la suite.<br /> Marcel
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J
Bonsoir Marcel.<br /> J'ai pris autant de plaisir que la première fois à relire cette rencontre avec Etienne pendant ces vacances scolaires qui étaient pour vous un travail loin de votre famille. Les parents<br /> n'expliquaient pas, il fallait obéir.<br /> J'aime la description que vous faites des paysages que vous traversez, ils me rappellent des souvenirs.<br /> J'attends la suite avec impatience.<br /> Bonne soirée Amitiés jackie
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