SUISI : Le 21 Juillet au petit matin.
Un confort, tout relatif soit-il, peut faire office de luxe quand...
Personnellement, je n’ai pas boudé le lit calé sous l’alcôve qui jouxtait l’espace sensiblement plus grand dans lequel s’était installé Georges. Une douche et des toilettes à se partager à deux représentaient un confort appréciable en comparaison de certaines installations de camping.
L’orage promis par le ciel noir qui, hier, nous accompagna en fin d’étape a tenu ses promesses. A peine couché, par intervalles semblant réglés par un métronome, des trombes d’eau s’abattirent sur la maison. Le tonnerre grondait par secousses en faisant un boucan d’enfer.
J’étais particulièrement content de cette opportunité qui me permettait d’envisager la nuit sans le souci d’avoir à écoper. Les tentes ont beau être fiables, un contact intérieur avec la toile se traduit systématiquement par une gouttière. Par un temps comme celui que laissait présager les nuages, il est toujours opportun de rentrer les sacoches dont le volume encombrant est de nature à provoquer des touchettes, lesquelles confirment généralement le risque.
En contrepartie de mon abandon du groupe, je devais me préparer à faire face aux attaques en règle des inconditionnels du camping. Georges et moi étions avertis des ‘’lazzis et quolibets’’ de nos camarades qui se voulaient tenus à ce qui fut évoqué lors de la préparation de notre raid : A savoir, la Canadienne, seulement la Canadienne comme hébergement !!!.
Jusqu’à présent, et tant que cela m’a paru raisonnable, je me suis conformé à ce point de ‘’règlement’’ qui, je le reconnais, s’est avéré être convivial et unificateur du groupe. Cependant, il y a des situations qui devraient ouvrir à la permissivité, mais ce soir là, je n'obtiendrai pas l’indulgence de ceux qui veulent rester d’incorruptibles baroudeurs !.
Je remercie celui qui a dit qu'à l'impossible nul n’est tenu. Pour moi, risquer de prendre la sauce au nom d’un engagement, qui pour le coup me paraissait pouvoir être dépassé, valait bien quelques joutes oratoires dont le sujet alimenterait sans doute le temps du petit déjeuner. Alors au diable ce type de principe qui voudrait me rendre solidaire à tout prix et en toutes circonstances. Foutaise que d’aller jusqu’au sacrifice et attendre que Dame Nature veuille bien cesser ses clameurs de tous ordres en déversant son déluge sur ma tête. Foutaise que d’attendre avant de fermer l’œil et pouvoir dormir sur mes deux oreilles alors que je sais avoir besoin de récupérer des efforts de la journée.
Ce matin, le ciel est d’un bleu parfait. Rien de plus rassurant que d’en voir son immensité sans l’ombre de l’ombre d’un nuage.
Les rescapés de la nuit arrivent dans la salle à manger de la Pensioné di Famiglia. L’environnement humide du camping les a contraint à venir prendre leur petit déjeuner en notre compagnie, dans ce lieu qualifié la veille comme étant pour nous celui de la perdition et de la parjure !!.
Hubert, dont un besoin l’a conduit en nocturne aux toilettes nous raconte avoir vu un cyclo-clodo dormant dans les ‘’chiots’’. Par économie, par nécessité faute d’argent ou pour satisfaire un comportement délinquant et se soustraire à tout règlement, cette homme qui semblait faire également le raid, fut en effet revu sur le circuit lors de notre progression vers Trieste. Il occupait généralement le local des douches avec son vélo et ses affaires. Visiblement, il en faisait son lieu de repos pour la nuit!!
Cette anecdote relatée comme entrée en matière ou pour faire diversion, le reste du discours, dont chacun de nos contradicteurs y prit part, fut à la hauteur de leur jalousie à nous voir ainsi reposés, détendus, frais et dispos. Georges et moi, nous voulant sans rancune, charitables à leur endroit sommes allés, par compassion face à leur mine déconfite que leur fierté même ne pouvait dissimuler, sommes allés, je le confesse, jusqu’à beurrer et confiturer les tartines de nos camarades.... ces héros !!!!
Dans le Pordoï
Le temps est magnifique. Les paysages que nous promet notre carnet de route ouvrent l’appétit de notre curiosité. Le Passo del Pinei nous est servi d’entrée de jeu avec des pentes atteignant seize pour cent.....à certains endroits !!!.
Gérard, lequel, jusqu’à présent s’était fait discret, vient d’attaquer Bernard un peu avant le passage du col pour lui ravir la vedette. Ce dernier reste tout penaud de se voir ainsi ‘’coiffé’’ sur la ligne, à la hauteur de la pancarte signalant le sommet.
Pierrot immortalise le lieu pour ce que nous croyons être notre véritable entrée dans les Dolomites pendant qu’Hubert, pour fêter l’événement, lui jette aux pieds un reliquat de pétards qu'il trimbalait dans ses sacoches depuis le 14 Juillet. Cocasse la scène de Pierrot tentant de les esquiver et Hubert prenant un plaisir amusé à voir notre camarade faire des bonds de droite à gauche pour ne pas avoir à subir le désagréments des éclats de la pétarade qui dura jusqu’à épuisement du stock.
Sans doute victime de l’ivresse des cimes, à croire que l’homme, qui pourtant dans sa vie professionnelle assume de lourdes responsabilités de salut public et au demeurant sérieux dans la vie courante, venait de perdre la raison !!!!
Pour s’assurer de notre capacité à pouvoir avaler plusieurs milliers de mètres de dénivelée dans la journée, je parlais dans le second épisode de mon récit, du test que l’on s’était imposé lors de notre préparation. Aujourd’hui nous sommes au pied du mur, au pied de gigantesques montagnes qu'il va falloir escalader afin de transformer l’exercice en essai et ainsi faire que l’examen soit validé.
En effet, des cols il va falloir en franchir et pas des moindres. Pour rejoindre San Cassiano qui est noté sur notre agenda comme étant la ville à rallier avant ce soir, il y a Le Passo del Pinei 1437 mètres que nous venons de sauter. Comme je le précise quelques lignes au dessus, pas très haut en altitude mais avec des rampes difficiles.
Hubert me refait '' le coup du genou "
La descente nous fait traverser Selva di Gardéna qui marque, là, notre véritable entrée dans ce massif montagneux unique en Europe que sont les Dolomites. Il y aura pour finir : Le Passo di Sella à 2240 mètres et Le Passo Pordoï 2234 mètres pour ne citer que les plus grands.
J’ai noté que les altitudes précisées sur les cartolines Italiennes sont sujettes à des variantes comparées aux cartes de route et autres relevés qui se veulent précis. C’est ainsi, mais peut être que cela a changé depuis le temps auquel je fais référence, que le Stelvio prétendait être le col routier le plus haut d’Europe avec 2757 mètres, alors que l’Iseran, en France, est à 2762 mètres d’après mes sources prises chez Larousse !!!
Peut être que les Italiens veulent ainsi se venger de notre insolence en nous ravissant le prestige d’un sommet, alors que nous gardons leur Joconde prisonnière chez nous depuis ......François 1er !!!!!
Quoi rêver de mieux comme aire de pique-nique qu’une vue imprenable sur La Sella. Quel spectacle que nous offrent ces alpinistes dont les corps agrippés à la gigantesque muraille de calcaire nous paraissent minuscules. Tels des araignées multicolores, ils progressent lentement vers une olympe qu'ils savent pouvoir atteindre qu'avec précaution et maîtrise. Ma passion pour l’escalade m’en fait regarder leur évolution dans les diédres ou sur des dalles, qui, vues d’où je suis, me paraissent lisses comme du marbre.
Le Passo di Sella...dans la froidure
Chacun a sa façon de vouloir, non pas dominer, mais jouer avec la montagne. Si les deux approches, celle du cycliste et celle des adeptes de la varappe ne peuvent être mises en comparaison, elles portent cependant en elles un amour affectif, émotionnel pour cet élément, que l’on se doit de séduire pour en faire sa partenaire.
Le Pordoï nous joue le remake de la Sella par la majesté de son paysage. Les fleurs, parmi les plus belles rencontrées en montagne, dessinent de chaque coté de la route un chemin aux couleurs de l’arc-en-ciel. De grands oiseaux, des rapaces dont j’ignore le nom, jouent à la ronde au dessus de nos têtes. Le chuintement des marmottes se répercute en échos d’une paroi sur l’autre dans un concert de singuliers sifflements. De l’eau à profusion roule sur le ventre de la montagne, puis dégringole en cascades pour se perdre au fond d’un gourd. Au loin, sur un sentier suspendu à la falaise, des marcheurs semblent faire du surplace tellement leur progression me parait lente.
Je ne vais pas vous refaire mon discours sur la contemplation, mais un spectacle comme celui vu à partir de ma situation de randonneur à vélo, jamais je n’avais rien vu de pareil.
Si nos Alpes, nos Pyrénées ont également du charme et leurs particularités, elles ne peuvent être comparées à l’originalité des Dolomites. Le sommet des montagnes présente une architecture ressemblant à des cathédrales hors dimensions humaines. Dans une comparaison analogue, des châteaux touchants les nuages sont habités par une peuplade de volatiles habillés de tristesse qui me font penser à des comtes écrits pour faire peur aux enfants. Le contraste est frappant entre les fleurs, symbole d’accueil qui décorent la terre et ce que l’on aperçoit en levant les yeux. La hauteur des colonnes minérales qui s’élèvent jusqu’à toucher le ciel, l’environnement aux dimensions surréalistes, le col que l’on se doit d’atteindre sur nos minuscules engins et que l’on aperçoit au loin comme se voulant inaccessible, représentent un challenge dont l’enjeu peut être écrasant. Ou, au contraire, jouissif au possible pour peu que l’on prenne conscience du bonheur que l’on vit à être là. Simplement être là.
Oui, je suis retombé dans ce travers qui fait que l’exception me noie d’un bonheur enfantin, voire ridicule à certains égards, mais dont je refuse à vouloir me défendre de son invasion. Je suis heureux pour moi, pour mes amis, qui, et peut être de façon différente, partagent cette représentation de ce que sont ces espaces et moments uniques qu’ils nous sont donnés de vivre.
Je suis comblé par ce que je vis au point d’en laisser le groupe filer, négligeant volontairement toute poursuite vers une conquête qui ne me motive plus. En effet, depuis le sommet du Stelvio, et pendant que s’égrenaient les minutes de l’attente, celle de voir arriver Bernard, ma lutte pour ce que je voulais être un jeu m’est subitement apparue inconvenante et déplacée. Dieu sait pourtant combien j’aimais, dans certaines conditions ou contextes, me livrer à ce type de pugilat à la pédale, mais là, subitement, je n’en ai plus envie. Tout autour de moi était trop beau pour que j’en perde le souvenir. Bernard, quant à lui, allait se trouver d’autres ‘’adversaires’’. Pour ma part, fini le nez dans le guidon, ce qui vient de se produire restera cette résolution qui va faire de moi, et jusqu’à Trieste, un randonneur enfin raisonnable.
Le terme de l’étape, bien que se rapprochant, n’est toujours pas en vue. Une longue et très belle descente nous conduit à Arraba où face à nous se dresse la route qui indique le Campolongo. C’est par là que passe notre chemin. Il couronnera Bernard d’un succès bien mérité en franchissant le sommet largement détaché d’un groupe de poursuivants, dont, je l’ai décidé, dorénavant, je ne ferai plus partie
Vue Sur le Campolongo
De grandes prairies servent de pâturages à des troupeaux de chevaux en liberté dont certains se sont rendus propriétaires de notre lieu de passage. Habitués à ce qu’ils soient nourris de pain et autres caresses, ils n’hésitent pas à venir solliciter notre générosité.
La vallée nous ouvre ses bras, mais le village que nous croyons être celui d’un repos bien mérité n’est pas le bon. Je commence à apprécier ma décision consistant à vouloir ménager la monture car pour rejoindre San Cassiano, le Col de Gardéna se dresse comme étant la condition afin de pouvoir rejoindre notre ville étape et monter en toute légalité notre toile de tente. Surprise, en pleine nuit l’aire aménagée au sein d’une clairière n’était pas seulement habitée par des humains, des biches et autres cervidés sont effet venus troubler notre sommeil en venant, au cours de leur visite, se prendre les pattes dans les cordages de notre campement !!!
Sublime étape. Aujourd’hui encore, et pour les jours qui suivirent, j’étais heureux pour les miens, pour ceux que j’aime et auxquels, intérieurement, je criais ma gratitude et ma reconnaissance pour ce bonheur qu’il m’était permis de vivre grâce à leur compréhension et à leur générosité de coeur.
C’est dans ce décor que Pierrot et moi allions simultanément décider pour nos familles respectives de ce qui allait être nos prochaines vacances d’été. Elles eurent pour cadre notre itinéraire de Thonon-Trieste. Cela se passa ainsi en 1986. Pas à vélo, les enfants étant trop jeunes pour une telle épreuve physique, mais en camping-car et dans les traces même de notre circuit.
Le prochain épisode aura encore pour cadre les Dolomites, le point d'orgue de mon Thonon Trieste.